Si la Constitution prévoit que le Parlement vote la loi, contrôle l'action du Gouvernement et évalue les politiques publiques, son importance est peut-être ailleurs.
Bonjour à toutes et tous,
Tout d’abord quelques mots rapides pour me présenter, moi et cette newsletter.
Je suis Pierre Januel, journaliste, principalement parlementaire depuis sept ans. J’écris surtout dans Dalloz actualité, La Lettre/Intelligence Online, La Croix, L’Hémicycle et parfois dans Mediapart ou le Canard enchainé, mais également sur Bluesky. Mais, la pulvérisation des réseaux sociaux et leur violence, font qu’il me manque un espace pour approfondir des sujets que je suis professionnellement, dans des formats qui s’éloignent de l’article de presse.
Le format “newsletter gratuite” m’a semblé plus intéressant qu’un blog. Notamment parce qu’il permet l’échange (et vous pouvez m’écrire un mail). Je vais donc en profiter pour parler de Parlement, mais aussi de journalisme, de transparence de l’administration et d’autres thématiques.
A chaque fois, il y aura un billet un peu développé suivi d’une revue de presse. Mon objectif est d’arriver à une newsletter par mois, pas plus. Par ailleurs, l’objet de cette lettre étant d’approfondir des sujets que je suis, je vais faire référence à des articles, parfois les miens. Désolé par avance du fait qu’ils soient souvent sous paywall (pour ceux de l’Hémicycle, l’inscription est gratuite).
A quoi peut encore servir le Parlement ?
« Le président préside, le gouvernement gouverne et le Parlement parle ». Cette maxime est parfois dite avec ironie, mais elle n’est pas tout à fait fausse. Le problème est que, depuis deux ans et demi, et encore plus depuis la dissolution, tout cela est déréglé.
Le Président ne préside plus vraiment, Emmanuel Macron s’étant replié sur le curieux rôle de super-ministre des Affaires étrangères et de la Défense, que la Constitution de la Vème république avait pensé pour le Général de Gaulle. La succession inédite de gouvernements - quatre en un an -, les soubresauts des lois de finances et les divisions internes font que le gouvernement Bayrou a peu de latitude pour véritablement gouverner. Enfin, au Parlement, on ne parle plus,on s’engueule.
Évidement, le Parlement ne sert pas qu’à cela. L’article 24 de la Constitution prévoit que « le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». Ces trois fonctions peuvent être interrogées.
La fonction reine reste l’action législative. On voit d’ailleurs que brusquer l’Assemblée pour adopter certaines réformes érode leur légitimité. Toutefois, le Parlement n’en a pas le monopole. Notre Constitution ne parle d’ailleurs nulle part de « pouvoir législatif ». Et s’il doit « voter » la loi, le Parlement ne l’écrit pas forcément. Le gouvernement a chez nous un rôle prépondérant dans l’écriture de la loi, avec une palette d’outils présents dans la Constitution : les différents type d’ordonnance, le 49.3, le 44.2, la mainmise sur l’essentiel de l’ordre du jour et de la procédure législative, l’interdiction pour les parlementaire de créer des contraintes financières, le rôle de conseil du Conseil d’État et des puissants ministères…
D’ailleurs, depuis que le gouvernement n’a plus la main sur le gouvernail, et que l’essentiel des textes passe par des petites propositions de loi, à l’Assemblée, tout est devenu chaotique. Un même texte peut être rejeté en commission, adopté en première lecture, rejeté en deuxième… Faute de mieux, l’Assemblée se concentre sur des petits textes, souvent transpartisans et consensuels. Résultat, la fonction législative perd son sens, même pour les députés. Surtout que depuis vingt ans la loi est devenu quelque chose de très technique, le domaine réglementaire étant largement empiété et les contraintes constitutionnelles et européennes s’étant renforcées. Enfin, le but des députés est il d’être les légistes le plus pointus ?
Dans son rôle de législateur, le Sénat, lui, semble hésiter entre deux visions : celle politique, lui permettant d’utiliser sa majorité claire afin de dérouler le programme d’une droite LR qui trépigne depuis douze ans. Ou celle de « stabilisateur des institutions », que lui avaient assigné les concepteurs de la Vème. Par ailleurs, le fait que les principales formations politiques du pays (Renaissance, RN, LFI) y soient largement sous-représentées le fragilise. En matière de représentation, le Palais du Luxembourg n’est pas à trente minutes de distance de l’Assemblée : il est à trente ans. Or, en démocratie, la légitimité populaire, ça compte (même pour une chambre élue au suffrage indirect).
L’autre fonction assignée au Parlement par l’article 24 C, c’est celle de contrôler l’action du Gouvernement. J’ai souvent lu que le Parlement n’exerçait pas assez ses pouvoirs de contrôle. C’est aujourd’hui totalement faux. Jamais, il n’y a eu une telle multiplication des missions d’information et de commission d’enquête (voir par exemple cette liste du Sénat). Or, ces travaux manquent de débouchés (il y a des exceptions, comme la loi narcotrafic) et le contrôle tourne parfois à vide. Surtout quand le gouvernement à contrôler a lui-même perdu en substance.
Enfin, on pourrait remettre en cause la troisième fonction, d’évaluation des politiques publiques. L’État ne manque pas de corps d’inspection, de cour des comptes et de comités en tout genre qui produisent déjà une multitude de rapports d’évaluation.
Mais alors, s’il ne fait plus vraiment la loi et si les fonctions de contrôle et d’évaluation sont inabouties, à quoi peut bien servir le Parlement ?
De fait, il y a bien longtemps que des penseurs ont attribué d’autres fonctions au Parlement (lire cet article d’Armel Le Divellec dans Juspoliticum sur Walter Bagehot, un penseur anglais du XIXème). Parmi les cinq fonctions que Bagehot assigne alors au Parlement britannique, il y a la fonction élective (création du gouvernement), la fonction expressive, la fonction éducatrice, la fonction informative et enfin la fonction législative (questions financières incluses) qu’il place en dernière.
On pourrait contester cette classification d’il y a deux siècles, mais elle permet de sortir de la dichotomie inopérante « législatif contre exécutif ». Nous vivons parfois dans un fantasme républicain avec un Parlement fait pour s'opposer au gouvernement. Comme me l’avait dit une fois un haut fonctionnaire, il y a une persistance rétinienne de ce que fut la Troisième République.
Le Parlement c’est d’abord l’endroit de l’expression politique et des débats. Plus que le pouvoir législatif, c’est l’organe de discussion collective, où tout est débattu entre les différentes forces politiques et donc le plus souvent de manière transparente (dans un régime où le culte du secret est érigé en principe de gouvernement, ce n’est pas rien).
On ne sauvera pas le Parlement en renforçant des pouvoirs qu’il peine aujourd’hui à exercer, faute de majorité stable (pour l’Assemblée) ou de légitimité populaire (pour le Sénat) ou en le transformant en super légiste, super contrôleur ou super auditeur. Il faut peut-être renforcer son rôle politique. Cela nécessite toutefois de trouver des formes plus adaptées que celles en cours, où tout est centré soit sur les débats législatifs qui sont devenus illisibles avec un nombre démesuré d’amendements, soit sur des semaines de contrôle, qui n’ont jamais vraiment convaincu. On y reviendra.
Ailleurs
La semaine prochaine, l’Assemblée débattra de la loi narcotrafic. Issue d’un travail de contrôle du Sénat, cette loi montre que le Parlement arrive aujourd’hui à légiférer, mais pas toujours dans les meilleures conditions. Faute de projet de loi disponible, le gouvernement a tout fait pour transformer ce texte en nouvelle loi renseignement. Certains dispositifs sont également précipités, au point que même après une lecture des éléments clés comme le futur parquet national anti criminalité organisée ou le dossier coffre nécessitent des expertises complémentaires. Et le fait que des articles clés ont été supprimés en commission rajoute à la confusion.
Le procès des viols de Mazan a remué beaucoup d’entre nous. Deux intéressants textes y reviennent. Le premier est un livre avec la philosophe Manon Garcia, qui a fait l’objet d’un entretien à Libération. Le second est un article de la journaliste Marion Dubreuil qui a suivi les trois mois du procès, et reprend le fil dans un long article pour la Déferlante, qui se centre sur les violeurs.
On n’arrive plus à juger les crimes et le nombre de personnes en détention provisoire bat des records. Pour Dalloz actualité, j’ai obtenu deux rapports non publics de l’inspection de la justice. L’inspection formule plusieurs préconisations pour enrayer ces problèmes. Spoiler : il n'y a pas de recettes miracles. Mais, peut être faudrait-il répondre à l’augmentation des plaintes pour viol, qui se répercute sur toute la chaîne judiciaire ?
En bref
Comme le Parlement a du mal à légiférer, on parle du retour des conventions citoyennes. Mais est-ce que ça marche ?
Un rapport sur le népotisme à la métropole Aix-Marseille qui n’a pas fait beaucoup de bruit. Comme quoi, l’absence de contrôle est plus criante en démocratie locale qu’au national.
Mediacités a dû ouvrir une cagnotte afin de financer l'avocat nécessaire pour obtenir ce que prévoit la loi : la publicité des notes de frais de Laurent Wauquiez.
Un rapport sur l'effet inflationniste des APL est publié avec six ans de retard. Peut être parce que contrairement à ce qui était anticipé, "rien ne permet d’affirmer que les APL seraient plus inflationnistes que d’autres aides".
François Bayrou a beau être empêché de diriger pleinement le gouvernement, il contrôle encore les liaisons aériennes vers Orly.
Fake news ! Plus de 1000 médias en français, générés par IA, polluent le web - et Google.
TrackingFiles : comment la vie privée de militaires, de diplomates et du personnel politique français est exposée par les données de géolocalisation.
La revue Pouvoirs consacre un intéressant dossier sur Matignon.
Et pour finir
Des remerciements particuliers à Lucie Ronfaut (qui tient la newsletter #Regle30, sur la culture web avec un point de vue féministe et inclusif) et Alexandre Léchenet (qui gère Arobase, une newsletter sur celles et ceux qui font Internet) de m’avoir donné leurs conseils précieux.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. N’hésitez pas à m’écrire pour me dire ce que vous avez pensé de cette newsletter. Vous pouvez également la diffuser à vos proches si vous l’avez trouvée intéressante.
J’espère à bientôt.