Alors que ce sont bientôt les vacances parlementaires, le « découragement démocratique » règne à l'Assemblée. Un sentiment réel, qui a plusieurs conséquences.
Bonjour à toutes et tous,
Merci d’abord à vous. Vous êtes aujourd’hui 975, ce qui est un bel encouragement à poursuivre. Merci également pour vos retours. Suite aux remarques, j’ai resserré l’article principal, jugé parfois trop long dans le précédent numéro. La seconde partie reste consacrée à une revue de presse d’articles de moi ou d’autres, sur des sujets divers, qui couvrent mes thématiques de prédilection (Parlement, justice, transparence et journalisme).
Enfin, merci à toutes celles et ceux qui ont partagé cette newsletter ou qui m’ont écrit pour donner leurs retours, impression, voire informations. On se revoit à la rentrée.
« Il manque un adulte dans la pièce »
Plusieurs médias ont évoqué la fatigue démocratique, ou pour reprendre Authueil, vétéran des blogueurs politiques, le « découragement démocratique ». C’est Libération qui faisait sa Une jeudi sur le « Palais bourdon » avec un long article sur le blues des députés. C’est Le Monde qui racontait lundi la désertion collective du bloc central, revenant notamment les débats lunaires sur le texte Mayotte. Le RN a pu littéralement faire sa loi, le bloc central ayant déserté. Seuls deux députés EPR étaient présents sur 93, dont… Gabriel Attal, le président du groupe. Qu’un président en soit à assurer la permanence de son groupe, montre la défaillance de son organisation.
Pourtant, contrairement à ce qui est souvent répété, on ne peut pas dire que l’Assemblée n’a rien fait ce semestre. En six mois, outre le budget (et dans ces temps ce n’est pas rien !), les députés auront avancé sur la fin de vie, adopté un gros texte narcotrafic, réécrit l’incrimination de viol, réintroduit certains pesticides, modifié les scrutins à Paris Lyon Marseille, avancé sur la réforme audiovisuelle et la programmation de l’énergie. Que l’on soutienne ou non ces réformes, ce n’est pas une « petite session », même si effectivement les enjeux les plus complexes (budget, désindustrialisation, crise climatique) ne sont pas pris de front.
La procédure parlementaire est devenue épuisante car totalement illisible, notamment car personne ne semble la piloter. Les textes sont rejetés avant débat par ceux qui les soutiennent, rejetés après les débats par ceux là même qui les ont soutenus ou deviennent totalement indigeste à coup d’amendements : le projet de loi simplification est ainsi devenue une merveille de complexité, dont personne n’a été capable de faire un résumé clair (il pourrait contenir un article abrogeant la République, personne ne s’en rendrait compte). Ça peut sembler rigolo, mais c’est épuisant pour les parlementaires et surtout pour celles et ceux, entreprises, salariés, administrations, qui sont directement concernées par ses réformes.
La procédure est devenue illisible, même pour les spécialistes. Ainsi, les députés ont adopté une motion de rejet de la réforme audiovisuelle, suite à une démobilisation du socle commun et un coup tactique du RN. Après ce vote, il était difficile de savoir si ce rejet était un bon coup ou un camouflet terrible pour le texte et sa ministre. Notons toutefois, que sans ce rejet avant débat, le texte n’aurait pas pu avoir une deuxième lecture au Sénat avant la coupure estivale. Il ne reste plus qu’une deuxième lecture à faire à l’Assemblée (car ce texte n’est pas en procédure accélérée) pour convoquer ensuite une commission mixte paritaire, prélude à une éventuelle adoption définitive.
Or, tout aujourd’hui semble se jouer dans ces CMP, qui restent nimbées de mystère. Plus qu’un endroit de compromis, les CMP sont un espace de prévisibilité d’un Parlement qui en manque énormément. Les rapporteurs se rencontrent avant (car tout se joue en pré-CMP), connaissent la composition de la CMP et savent ce qui sera ou non acceptable dans leur chambre. De même, si le Sénat s’est imposé dans le jeu parlementaire, c’est qu’il est prévisible.
A l’Assemblée, les acteurs ont tendance à se replier sur les règles. Avec onze groupes et une assemblée atomisée, les petits coups tactiques peuvent avoir une importance fondamentale. Dans un excellent dossier de l’AJDA sur le secrétariat général du gouvernement, on apprend que le SGG lui-même, qui est l’instance clef de suivi des textes de loi et des décrets, a dû renforcer son expertise en matière de droit parlementaire. : « Si les relations avec les services des assemblées sont bonnes, et les analyses souvent convergentes, il ne faut pas négliger l'enjeu que représente la capacité à contre-expertiser leurs interprétations de la Constitution, au regard des conséquences politiques que peuvent emporter certaines prises de position ».
La nécessité de maîtriser les règles et les petits coups ne se retrouve donc pas qu’au Parlement. Le gouvernement est tout aussi divisé. Ainsi, c’est par la bande que le ministère de la Justice a appris qu’une proposition de loi sur les courtes peines était inscrite à l’ordre du jour du Sénat pour la session extraordinaire. L’idée phare de cette PPL, que Gérald Darmanin avait démontée lors de son passage à l’Assemblée, est pourtant au cœur du projet de « révolution pénale » du ministre. Révolution pénale que le ministre a initiée seul, sans soutien intergouvernemental.
Autre effet de ce découragement démocratique : les acteurs choisissent leurs combats. Exemple avec le rapport de la commission des affaires européennes sur la Chine, raconté ici. Rédigé par Sophia Chikirou (on ressent son style quand elle parle de « l’Oncle Sam », ou du Monde comme le « journal de l’officialité »), c’est un rapport très politique qui développe la vision Insoumise sur la Chine et les relations internationales. Il est orthogonal avec la position du gouvernement français, mais aussi avec celles de la majorité des groupes. Dans l’ancien monde, Sophia Chikirou se serait vu adjoindre un binôme qui aurait contrebalancé le rapport. Au pire, la commission l’aurait rejeté, plutôt que de transformer cette vision minoritaire en position officielle de l’Assemblée. Là, les responsables de la commission ont préféré laisser faire, préférant mobiliser la fois d’après sur la question israélienne. Comme me l’a indiqué un vieil habitué de l’Assemblée, dans le temps d’avant, « la tutelle du gouvernement excluait ce type d'embardée. Livrés à eux-mêmes, sans qu'il soit facile de distinguer clairement majorités et oppositions, les députés font effectivement à peu près n'importe quoi ! Il manque un adulte dans la pièce ».
Et aussi…
« Faut-il supprimer le 1er novembre comme jour férié pour financer le service national universel ? » et « légaliser la castration chimique pour les personnes reconnues coupables d’acte de pédophilie ? » Voici deux questions que le gouvernement Attal a posé aux Français via les sondages du SIG.
Comme on raconte beaucoup de choses sur les montants du futur financement public des partis (qui tombera cet été), j’ai fait le calcul. Et je vous les donne en exclu : le RN devrait toucher 14,5 millions d’euros, Ensemble et le Modem 11 millions, le PS 7,8 millions, LR 7,5 millions, LFI 6,6 millions, EELV 3,7 millions, Horizons 2,7 millions, le PCF et l’UDI 2 millions, l’UDR 600 000 et LO 400 000 euros.
Le règlement d’ensemble est une procédure méconnue, sans base légale, qui permet au fisc de transiger en cas de fraude. Après des travaux pionniers de la députée Christine Pires-Beaune, ses collègues Nicolas Sansu et Mathilde Feld ont poursuivi le travail dans ce rapport. Comme j’ai écrit plusieurs articles sur le sujet, ils m’ont auditionné. De l’autre côté du miroir…
Si vous n’avez pas accès à l’AJDA et que vous voulez mieux comprendre le SGG, vous pouvez lire ce passionnant entretien avec un ancien titulaire de la fonction, Jean-Marc Sauvé.
Dans cet article, François Gemenne s’interroge sur le grand détricotage écologique en cours, alors que la crise écologique n’a jamais été si visible.
Si vous êtes candidat aux municipales, faites une croix sur vos dimanches 15 et 22 mars.
Avant son passionnant dossier sur le SGG, l’AJDA en a consacré un autre sur le conseil constitutionnel. Entre autres, les articles de Julien Jeanneney et de Julien Bonnet et Pierre-Yves Gahdoun sont stimulants sur des pistes de réformes.
Est-il vraiment possible pour les parlementaires de revenir à l’impopulaire cumul des mandats, alors que les élus locaux s’y sont habitués ? (article gratuit sur inscription)
Si vous cherchez des lectures d’été, on ne saurait trop vous conseiller les rapports des commissions d’enquête parlementaires, souvent riches. Que ce soit sur le blanchiment, la violence dans les établissements scolaires, les aides aux entreprises ou les manquements dans la politique de l’enfance.
Ce dernier rapport évoque notamment la prostitution des enfants de l’ASE. Libération a également fait un long article, douloureux, sur la prostitution des adolescentes. Ce sujet revenait depuis trente ans dans différents rapports mais a mis du temps a être appréhendé par les pouvoirs publics. Et c’est un scandale.
Marion Maréchal a été salariée d’une boite qui sera ensuite prestataire de sa propre campagne, pour des montants surfacturés selon la CNCCFP (papier fait pour Mediacités et repris par Mediapart).
Dans les Actes de la recherche en sciences sociales, un passionnant article revient sur les réformes autour de la HATVP et du pantouflage.
Le 1 Hebdo a fait un dossier spécial autour d’un entretien avec Jean-Luc Mélenchon, qui y explicite sa stratégie (« le 4ème bloc »). On y trouvera aussi d’intéressants contre-points, notamment de Manuel Cervera-Marzal.
La CADA, l’autorité indépendante qui suit les demandes d’accès aux documents administratifs, est censée publier tous ses avis, mais ne peut le faire. Face à cette situation, un chercheur a saisi la CADA pour avoir accès au jeu des avis CADA auxquelles la CADA lui refusait l’accès. La CADA a rendu un avis favorable. Ouf !
Chic, bientôt une nouvelle loi renseignement.
Le podcast historique C’est plus compliqué que ça revient pour une saison 5 (sur Deezer et toutes les plateformes).
La caricature en Une de cette newsletter date de 1926.
Si vous passez par le Nord, et que vous aimez les peintres flamands, faites un tour au Palais des Beaux Arts ou au musée de Flandre à Cassel.
Écoutez ce concert d’Arthur Teboul et Baptiste Trotignon qui reprennent des classiques de la chanson française au piano. Ou dans un autre genre, les Limiñanas à l’Olympia.