Parlementer n°6 : « Que restera-t-il des Présidents ? »

Notre régime parlementaire a la particularité de tourner autour du Président de la République. Si la prééminence présidentielle a longtemps été gage de stabilité, elle est aujourd'hui la cause de la crise politique que nous traversons.

Parlementer
5 min ⋅ 15/10/2025

Pour un journaliste pigiste qui subit souvent les bouclages, le charme d’une newsletter est qu’elle permet de maîtriser le temps. J’envoie un numéro quand je veux, ou plutôt quand je peux, en essayant de tenir le rythme « à peu près mensuel ». Ainsi, s’il y a eu presque deux mois entre les numéros 4 et 5, seuls 23 jours nous séparent de la précédente édition. Désolé donc pour l’irrégularité.

Ce nouveau numéro parlera d’abord du poids du Président dans notre régime parlementaire. Merci à toutes celles et ceux qui ont partagé cette newsletter ou qui m’ont répondu pour me donner leurs remarques, voir informations. N’hésitez pas à recommencer !

Que restera-t-il des Présidents ?

La semaine dernière a eu lieu une très belle cérémonie d’entrée au Panthéon de Robert Badinter. Parmi ces nombreux combats, beaucoup ont insisté sur son rôle dans l’abolition de la peine de mort. Comme Simone Veil pour l’IVG ou Christiane Taubira pour le mariage pour tous, il a incarné cette réforme. Ce sont pourtant trois lois adoptées dans la foulée d’une élection présidentielle, suite à des engagements forts de campagne. Mais, à chaque fois, le rôle du Président tend à être gommé. Peut-être parce que ce n’est pas lui qui a porté la réforme au Parlement. Peut-être parce qu’ils ont parfois choisi de s’effacer pendant le processus législatif pour ne pas s’exposer sur des réformes alors clivantes.

Dès lors, je me suis posé la question : que restera-t-il de François Mitterrand dans les manuels d’histoire du XXIIème siècle ? Le bilan social (la retraite à 60 ans) tend déjà à disparaître. Peut être Maastricht, quoiqu’il s’agisse d’un choix collectif des chefs d’État européen. Peut-être aussi le génocide du Rwanda, qui, avec son million de morts, reste l’un des principaux massacres du siècle précédent. Or, la France, par son aveuglement, y a joué un rôle majeur, du fait d’une volonté claire de l’Élysée.

Les lectures du rapport Duclert et de l’ouvrage « La France face au génocide des Tutsi » sont importantes. Duclert y détaille, le rôle majeur de la France qui n’a pas compris ce qui se déroulait au Rwanda. Pour l’Élysée, le petit Rwanda était un avant-poste francophone stratégique face à l’influence anglo-américaine.Il fallait soutenir, quoi qu’il en coûte, le « gentil régime » hutu d’Habyarimana contre les « méchants ougando-tutsis » du FPR. Le rôle de son État-major particulier est particulièrement pointé, imposant un soutien aveugle au régime, alors que les ministères de la Défense et des Affaires étrangères ainsi que la DGSE multipliaient les alertes. Mais elles étaient ignorées par l’Élysée. Comme le Rwanda n’est pas stratégique, les gouvernements successifs ont fait le choix de pas s’interposer.

Si François Mitterrand avait compris la situation sur le terrain, évidemment il aurait immédiatement changé de cap. Mais le rapport permet de comprendre comment une poignée de personne dans un bureau en sous-pente de l’Élysée ont mêlé la France à un génocide. La Présidence est au sommet de notre système politique, le socle de la légitimité du gouvernement : qui peut s’y opposer ? Le génocide du Rwanda a montré les risques de dérive folle de cette organisation administrative, que personne n’a pu arrêter. Après trente ans de déni total sur notre responsabilité dans le génocide rwandais, nous n’avons pas encore commencé à en tirer les leçons.

En France, le Président se prévaut d’un « domaine réservé », qui n’a pas de base juridique, mais est fermement ancré dans notre imaginaire et dans le fonctionnement du pouvoir (lire cette éclairante contribution de Thibaud Mullier). Mais, au-delà de la Défense et des Affaires étrangères, l’Élysée peut imposer ses arbitrages sur tout sujet. Obligation ensuite au gouvernement de tenir cette ligne au Parlement. La poids qu’a eu Rachida Dati, qui a réussi à imposer la réforme du mode de scrutin parisien et la réforme audiovisuelle, relève ainsi plus de son influence à l’Élysée qu’au Parlement.

Ce poids de la présidence dans le processus décisionnel s’est aussi beaucoup vu la semaine dernière dans le psychodrame autour des deux gouvernements Lecornu. Comme le souligne Guilhem Baldy, le choix des Premiers Ministres depuis un an, semble guidé par le désir d’Emmanuel Macron « de continuer à jouer un rôle actif dans la détermination et la conduite de la politique nationale ». A chaque fois, le Premier Ministre choisi était un peu plus proche de lui, comme s’il fallait renforcer sa cohésion avec l’hôte de Matignon, « l’expérience lui ayant appris qu’elle est ce qui conditionne fondamentalement sa capacité d’intervention dans les affaires gouvernementales ».

On aurait pu penser que le gouvernement allait être composé de poids lourds, afin de s’assurer du soutien sans faille de ses composantes. Si le gouvernement Lecornu 2 est pléthorique, avec des inconnus à l’importance souvent faible, c’est aussi un moyen pour l’Élysée de garder la main.

En temps normal, l’épée de Damoclès qu’est l’Élysée peut agacer le gouvernement. Mais, depuis 2022, cela devient ingérable. Bâtir un compromis devient impossible s’il faut en plus gérer les desiderata venus de l’Élysée. La nomination de Bruno le Maire dans le premier gouvernement Lecornu est un bon exemple. Ce choix a cassé totalement les équilibres avec les Républicains, les replongeant dans l’opposition.

Si l’Élysée impose souvent ses vues, il a aussi la difficulté d’être dépourvu d’administrations en propre. Le cœur du travail gouvernemental est à Matignon. C’est le Premier Ministre qui dispose des outils de coordination (SGG) ou d’information (SIG). L’Élysée n’a que quelques conseillers, qui ne sont pas dans les arbitrages quotidiens. Par ailleurs, le fonctionnement n’est pas toujours très clair. Quand l’Élysée parle qui est-ce ? Le Président ? Son secrétaire général ? Un conseiller ?

On parle souvent de l’isolement du Palais. Cela s’est vu par certains choix politiques catastrophiques basés sur un manque d’analyse, dû au fonctionnement en vase clos. La dissolution rapide de juin 2024 visait à prendre de vitesse la gauche, le Président étant persuadé qu’elle n’arriverait pas à s’entendre après les européennes. Il ne fallait pourtant pas être grand clerc (où ne jamais sortir des arrondissements à un chiffre) pour penser que la gauche ne se rassemblerait pas face au risque d’arrivée du pouvoir du RN.

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Par Pierre Januel

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