Parlementer n°8 : « Même s’ils ont tort, cela ne les empêche pas d’essayer. »

La dernière newsletter de l'année revient sur les options qui s'ouvrent à Sébastien Lecornu pour l'adoption du budget en 2026, mais également sur quelques articles que j'ai écrits en 2025.

Parlementer
8 min ⋅ 30/12/2025

Bonjour à toutes et tous,

Comme beaucoup, je vais céder à la tentation du bilan pour cette dernière newsletter de l’année. Bilan de la séquence budgétaire et de l’action de Sébastien Lecornu dans la première partie. Retour sur certains de mes papiers de 2025 dans la seconde.

Si vous voyez ces bilans partout, c’est surtout pour deux raisons. D’abord, ce sont des contenus relativement simples à produire. Ensuite, parce qu’ils permettent aux médias de revenir sur des articles qui les ont marqués. Le flux médiatique fait qu’un papier chasse l’autre, le journalisme n’étant qu’un art éphémère. Or, les journalistes aiment à se persuader que leur empreinte sera durable. Même s’ils ont tort, cela ne les empêche pas d’essayer.

Bonnes fêtes !
(et comme d’habitude, n’hésitez pas à m’envoyer vos commentaires et informations, ou à diffuser cette newsletter à vos contacts)

« Même s’ils ont tort, cela ne les empêche pas d’essayer. »

Si Sébastien Lecornu n’a pas réussi à faire adopter un budget avant la fin de l’année, au moins a-t-il réussi à survivre et à faire adopter - de justesse - la loi de financement de la sécurité sociale. Une survie qui n’était pas acquise et qu’il doit aux abandons des outils du parlementarisme rationalisé (49.3, ordonnance budgétaire, vote bloqué). Des outils qui permettent au gouvernement de souder une majorité derrière lui et de s’assurer le passage d’un texte : or, de majorité, il n’y en a pas.

Pour rappel, François Bayrou a perdu son vote de confiance avec 194 voix pour et 364 contre. Un écart colossal, qui montre l’état réel des rapports de force à l’Assemblée, et la limite de s’appuyer sur les LR et le Sénat, comme l’ont fait Michel Barnier puis François Bayrou. A la fin, c’est toujours l’Assemblée qui décide.

Avec un tel écart, difficile de faire adopter des textes budgétaires, notamment le budget de l’État, signe d’appartenance à la majorité gouvernementale. Surtout qu’il y a peu de marge de manœuvre. Le déficit prévu par ce budget 2026, que de nombreux députés qualifient d’« austéritaire », est déjà de 4,7 %. Les armées et le pouvoir d’achat des retraités étant priorisés par presque tout l’échiquier politique, difficile d’aller beaucoup plus loin ailleurs.

Faire adopter ce budget devient également plus délicat du fait de la restriction des options. D’abord, le 1er janvier étant passé, certaines réformes ne pourront pas être mises en place. Ensuite, quand le texte reviendra en nouvelle lecture, il ne sera plus possible d’inclure de nouveaux articles. Il restera possible de bouger des taux d’imposition et des lignes de dépense budgétaires, mais on ne pourra plus créer d’articles absents de la copie du Sénat (par exemple sur la taxe Zucman).

Pour l’adoption, outre un vote pour (comme pour le PLFSS), il reste le 49.3 ou l’ordonnance budgétaire. Certains ont évoqué une ordonnance négociée. Il serait démocratiquement très limite qu’un gouvernement puisse imposer un texte à sa sauce, sans possibilité aucune pour l’Assemblée de s’y opposer (au moins avec le 49.3, voter la motion de censure permet de rejeter le texte). La solution la plus logique serait alors une ordonnance qui reprendrait le projet de loi initial, éventuellement en retirant les articles qui ne peuvent plus entrer en vigueur. Mais il resterait possible de l’accompagner par un budget rectificatif (qui serait à son tour mis en œuvre par ordonnance au bout de 70 jours).

Si Sébastien Lecornu a survécu et s’il est en capacité de faire adopter un budget en janvier, c’est pour plusieurs raisons. D’abord, sur le fond, il a refusé de dresser toute ligne rouge. Il a ainsi accepté de revenir, même partiellement, sur la réforme des retraites, la seule action politique notable du second mandat d’Emmanuel Macron. En ouvrant grand les possibilités de compromis, quitte à laisser filer les déficits, il facilite les accords.

Il bénéficie d’un allié précieux : le temps. La lassitude des Français.es face à la crise politique (plus personne n’y comprend rien), joue en sa faveur. Tout comme l’impatience d’une partie de la classe politique, qui a les yeux rivés vers l’élection municipale de mars. C’est notamment le cas pour les forces dont le soutien est primordiale pour le gouvernement : LR, le PS, et, dans une moindre mesure des Écolos, qui sont devenus des partis d’abord locaux. Aucun des trois n’a intérêt à être tenu responsable du bordel ambiant. Plus focalisés sur la présidentielle, Renaissance, LFI et le RN relèguent au second plan les élections locales.

Le temps joue également sur les finances publiques. La loi spéciale n’est qu’une rustine qui permet un simple maintien des crédits 2025. On ne va pas très loin avec une roue de secours. L’administration va rapidement s’impatienter, notamment aux armées, où l’on veut procéder aux investissements promis.

Autre atout : chaque haie franchie facilite le passage de la suivante. Une fois qu’on a soutenu une partie du PLFSS sur les retraites, difficile de rejeter le reste. Et une fois que le PLFSS est voté, difficile de reculer sur le PLF. LR et le PS n’ont soutenu que du bout des lèvres, mais ont veillé à soutenir quand même. Car un budget ce n’est pas qu’un vote : ce sont 10 000 scrutins successifs. Pour la nouvelle lecture du PLFSS, alors que l’écart était très réduit, les groupes se sont disciplinés pour permettre l’adoption de tous les articles prévus. L’idée d’un 49.3 qui, même très contesté, aboutirait à une abstention des LR et du PS fait progressivement son chemin.

Enfin, le gouvernement peut compter sur la bienveillance du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel. Comme l’a noté Authueil, en ces temps de crises, les juges se comportent surtout comme des organes de régulation. Ainsi sur la loi spéciale, même si elle n’était pas dans les clous du texte constitutionnel, le conseil aurait vraisemblablement validé la loi spéciale adoptée par les députés. Il ferait de même demain si une solution atypique mais relevant des « zones grises de la Constitution », était trouvée.

Bref, si la route et la majorité sont étroites, un chemin peut être trouvé.

Retour sur 2025

Pour cette dernière newsletter, retour sur certains de mes articles 2025. L’occasion d’expliquer certains choix et les spécificités de mon travail de journaliste indépendant rémunéré à la pige.

  • A l’Assemblée, on m’a souvent parlé en off du « magot du Sénat », avec une pointe de jalousie. Ce 1,8 milliard placé permet aux sénateurs d’avoir un système de retraite abusivement généreux. J’ai essayé d’en savoir plus pour Le Monde. Côté Sénat, même si je sais que mes questions ont beaucoup mobilisé, j’ai dû me contenter des maigres infos distillées officiellement, en essorant au mieux les données disponibles. J’ai donc décidé d’aller voir dans les archives en ouvrant des cartons poussiéreux. C’était une première pour moi, et la pêche a été concluante, avec plusieurs documents étonnants.

  • Un papier pour Mediapart sur les frais de représentation a fait beaucoup de bruits dans la PQR. Les frais de représentation sont un système d’un autre siècle, permettant aux élus locaux de se faire voter une enveloppe de frais sans justificatif à fournir. Conscientes du problème, la plupart des communes n’y recourent pas. Les élus étant toujours rétifs à faire la transparence sur leurs frais, j’ai pris le problème à l’envers en utilisant la ligne « frais de représentation » des balances comptables déclarées par les communes. Après ce papier, les mêmes élus qui refusaient de faire la transparence sur leurs frais ont dû se justifier. Avant la parution, mes nombreux mails étaient presque tous restés sans réponse…

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Parlementer

Par Pierre Januel

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